Eric Bourret « Entre terre et mer » – Carnet de marche

ENTRE TERRE ET MER, DES CRÊTES AU LITTORAL

L’exposition de cet automne à la Villa Théo accueille les images du photographe-marcheur Éric Bourret dans le cadre des événements “Hors les murs” du Conseil départemental du Var. Mais cet accrochage présente également, aux côtés des œuvres issues du fonds de l’institution varoise, des photographies réalisées lors d’un séjour de l’artiste au Lavandou. Durant l’hiver 2022-2023, Éric Bourret a en effet répondu favorablement à l’invitation du service culturel de la ville et a parcouru, l’œil en alerte, chemins et drailles de la commune, du littoral jusqu’aux crêtes.
Né en 1964 à Paris, Éric Bourret vit et travaille dans le sud de la France et en Himalaya. Son œuvre d’artiste-marcheur s’inscrit dans la lignée des land-artists anglais et des photographes-arpenteurs de paysages. Depuis le début des années 1990, il parcourt le monde à pied, traversant tout horizon à toute altitude, effectuant des prises de vues photographiques qu’il nomme “expérience de la marche, expérience du visible”. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions et acquisitions dans les musées et Centres d’art, en Europe, aux États-Unis et en Afrique, notamment The Finnish Museum of Photography à Helsinki ; The Museum of Contemporary Art of Tamaulipas au Mexique ; le Musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice ; le Musée Picasso à Antibes ; la Maison Européenne de la Photographie de Paris et le Musée d’Art Contemporain de Marseille. Éric Bourret est représenté par les galeries Esther Woerdehoff (Paris) et Sapar Contemporary (New York). Rencontre avec l’artiste.

Quelle est l’origine de cette exposition et que montre-t-elle ?
– C’est d’abord une histoire d’amitié et de fidélité. Le service culturel du Lavandou m’avait déjà invité en 2011 à présenter mes images en noir et blanc sur les sites archéologiques ancestraux — Syrie, Jordanie, Égypte, Liban et Yémen — avec un autre photographe de l’extrême, Gautier Deblonde. Depuis, nous rêvions de prendre le temps d’une résidence afin de produire un travail spécifique au territoire du Lavandou. Comme la Villa Théo devait accueillir cette année quelques-unes de mes œuvres présentes dans la collection d’art contemporain du Département du Var dans le cadre d’un partenariat avec l’institution varoise, nous en avons profité pour enrichir cette exposition “Hors les murs” d’un travail de résidence. Pour cela, je suis venu deux fois quinze jours, en décembre 2022 et janvier 2023 afin de découvrir les paysages lavandourains et arpenter sans relâche et avec bonheur le sentier du littoral et les pistes des crêtes qui délimitent ce territoire. La nature vive a nourri mes marches durant ces semaines en immersion. Chênes-lièges, pins maritimes et d’Alep, arbousiers, myrtes, oliviers, bruyères, lentisques, mimosas, roseaux et salicornes étaient pour moi en tenue de gala ! Cette exposition présente donc, au fil des salles, mes images plus anciennes sur la forêt de la Saint-Baume (2010), un diptyque sur la Sainte-Victoire (2014), deux œuvres au sol intitulées “Kosmos” (2017) et les deux séries lavandouraines, “Route des crêtes” et “Sentier du littoral” (2023).

 

Comment êtes-vous devenu photographe ?

– À 12 ans, étant passionné d’astronomie, mes parents m’ont offert une lunette astronomique pour scruter le ciel et étudier les planètes. Puis ils m’ont envoyé dans une colonie de vacances scientifique, à Naucelle dans l’Aveyron, où j’ai vécu trois formidables semaines d’astronomie. Toutes les nuits, on faisait de l’astro-photographie. Le matin, on développait les films et on tirait les photos. C’était magique. J’ai alors découvert les temps longs de prise de vues, la révélation des épreuves au laboratoire. On voyait apparaître seconde après seconde les étoiles qu’on avait photographiées. Le gosse que j’étais était envoûté. Une passion était née. Le passionné allait pouvoir advenir. En rentrant, j’ai déclaré à mes parents : “Je veux devenir photographe !”, même si je ne connaissais encore rien sur ce métier. Je me suis inscrit à l’atelier photo de la MJC de Chambourcy, le village de mon adolescence et j’ai appris tout seul, en autodidacte. La semaine, en dehors du temps scolaire, je faisais des marches dans la forêt de Marly et, le week-end, je développais. Plus tard, je me suis offert mon premier appareil en allant faire la cueillette des framboises et des fraises près de chez moi. Aujourd’hui, à 59 ans, cette passion pour la photographie ne m’a pas quitté.

Et ensuite ?

– À vingt ans, je suis venu m’installer dans le sud de la France, d’abord dans le Var, à Toulon, qui sera ma première ville d’adoption, afin de quitter l’ambiance trop urbaine de Paris. J’avais besoin d’autres choses. J’ai alors découvert les calanques, la presqu’île de Giens, la forêt de la Sainte-Baume, etc., et suis tombé amoureux de la nature vive que m’offrait cette région. Pendant un an, je me suis frotté assidûment à ses paysages. Passionné par l’œuvre de Cézanne, je suis allé également parcourir les sentiers autour et dans la montagne Sainte-Victoire. Au fil des années, j’ai ensuite élaboré un travail plus personnel qui a doucement mûri. Depuis, je n’ai plus quitté la région même si, cinq à six mois par an, j’arpente les territoires “naturels” du monde entier, de l’Himalaya aux îles de la Macaronésie, en passant par les forêts primaires et les parcs naturels régionaux et nationaux. En associant toujours marche et photographie. La marche durant de longues périodes et l’expérience physique et sensorielle qui en découle me nourrit.

Quelle est la spécificité du travail réalisé au Lavandou ?

– J’ai produit deux séries de photographies. La première sur la route des Crêtes que vous m’aviez suggéré de découvrir et d’arpenter. C’est un endroit merveilleux, possédant une végétation très typique. Un véritable condensé de la végétation méditerranéenne. J’ai finalisé cet abécédaire végétal dans un mur d’images, composé de trente photographies. Toute la luxuriance des chênes-lièges et la végétation jaillissent de la pierre. L’autre série présente des photographies prises sur le sentier du littoral, qu’on a accrochées de façon très aérée. On voulait que les deux propositions possèdent leurs singularités.

Les tirages ont été réalisés en fonction de l’espace dont je pouvais disposer au sein de la Villa Théo. Habituellement, j’associe de multiples expositions sur le même négatif durant la marche afin de créer une sensation de flux. En revanche, durant mon séjour hivernal au Lavandou j’ai choisi de travailler avec une exposition unique.

Quelle a été votre démarche ?

– Comme souvent, il m’a fallu un temps d’immersion pour capter l’essentiel de cette forte nature environnante et rendre visibles les différents aspects végétaux qui constituent ce territoire si riche en végétation. J’ai fait une sorte de recensement, non exhaustif, des espèces. J’aime arpenter et m’accorder un temps long, durant plusieurs jours ou plusieurs semaines sur un même territoire, dans une lente immersion aux paysages. Comme évoqué plus haut, lors de ce temps de travail au Lavandou, j’ai adopté une technique photographique traditionnelle. Je suis revenu à mes premières amours. Il faut souligner également l’importance de la lumière méditerranéenne hivernale qui révèle et sculpte les formes végétales et minérales, toutes les matières dont sont constitués ces paysages entre terre et mer. Enfin, j’aime cette synergie entre les pièces photographiques abstraites de grand format, flirtant parfois avec le dessin qui appartiennent aux collections d’art contemporain du Département du Var et les intimes photographies récentes, effectuées sur le territoire du Lavandou.

Le co-commissariat de cette exposition a été assuré par Ricardo Vazquez, conservateur en chef du patrimoine, directeur de la culture, des sports et de la jeunesse au Conseil départemental du Var et Raphaël Dupouy, attaché culturel du Lavandou.

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