Isidore Rosenstock : l’aquarelliste oublié

Isidore Rosenstock : l’aquarelliste oublié

Il était surnommé “le peintre des fleurs”. À l’image de son sujet fétiche, Isidore Rosenstock a connu de son vivant un bel épanouissement consacré par une reconnaissance certaine puis, après la disparition de l’artiste, sa notoriété a lentement fané et sombré dans l’oubli. Cruel, mais l’histoire de l’art est jonchée de tels parcours météoriques. Aussi, cet automne, c’est avec émotion et un brin de nostalgie que Le Lavandou redécouvre celui qui était considéré comme l’un des plus grands aquarellistes de son temps.
Dans son discours prononcé en 2003 à l’occasion des 90 ans de la commune du Lavandou et d’une exposition Rosenstock à l’hôtel de ville, l’adjointe à la culture d’alors, Myriam Ciano, lui rendait ainsi hommage : “C’est une belle page d’histoire que nous avons pu accrocher aux murs de la mairie. On ne peut qu’admirer une telle maîtrise de l’aquarelle, technique de la spontanéité, qui revêt ici une grande délicatesse de tons, une précision de formes, avec toujours cette belle lumière qui transparait, ou qui baigne la composition.”
Seize ans plus tard, cette exposition à la Villa Théo est l’occasion de préciser les liens de Rosenstock avec la cité des dauphins et de remettre en lumière son oeuvre afin de donner toute la mesure de son talent au public d’aujourd’hui.

NAISSANCE À STRASBOURG ET VIE PARISIENNE

Grâce au livret de famille retrouvé chez un antiquaire du Lavandou, on sait qu’Isidore Rosenstock naît à Strasbourg le 1er mai 1880 de l’union d’Isaac Rosenstock et de Madeleine Kling. Malheureusement, on ne sait rien de son enfance, de ses prédispositions artistiques et de son choix de suivre une carrière de peintre et d’aquarelliste.
On le retrouve à Paris, dans les toutes premières années du XXe siècle, membre de la Société des Artistes Français, avec une mention honorable dans la section architecture en 1905. Il participe régulièrement à ses salons de 1905 à 1932, proposant tour à tour des aquarelles de bouquets, des vues du parc de Versailles (effets du matin sur une terrasse, etc.) et de Venise.
Dans les rares documents le concernant, on note en revanche une seule participation au Salon d’Automne de 1906 avec une vue de Venise ainsi qu’une seule participation au Salon des Amis des Arts de Bordeaux avec deux oeuvres représentant Versailles, l’allée de Cerès-et-de-Flore et le Grand Trianon, toutes deux alors proposées à 600 francs.
À cette époque, les salons sont nombreux. Rosenstock expose avec la Société Internationale des Aquarellistes (association basée à Bruxelles) et accroche également des oeuvres, études de fleurs (roses de Noël, etc.) et vues de Versailles, au Salon de l’École Française en 1909, 1910, 1911, 1936 et 1937. Il sera présent aussi au Salon d’Hiver en 1923, 1924 et 1925, avec toujours des fleurs, le parc de Versailles, Venise et une vue de la Villa Médicis à Rome.
Rosenstock participe encore au Salon de la Société des Artistes Indépendants, de 1908 à 1913, avec des études de Versailles et de nombreuses fleurs (roses, soucis jaunes, giroflées, dahlias, anémones, primevères, etc.) et expose au Grand Palais en 1926.
Il accroche aussi ses aquarelles — deux vues de la ville marocaine de Taza — lors de l’Exposition Coloniale Internationale de Paris, de mai à novembre 1931. On le retrouve encore au Salon de la Société Coloniale des Artistes Français en 1932 avec deux représentations des environs et des fortifications (Bab Segma) de la ville impériale de Fès au Maroc.

Mais, s’il voyage beaucoup pour exposer ou simplement trouver de nouveaux sujets à peindre, Isidore Rosenstock reste un fidèle habitant de Paris où il aura plusieurs adresses  successives, surtout entre le XVIe et XVIIe arrondissements : au 43, avenue Victor-Hugo, XVIe, de 1905 à 1912 ; au 17, rue de Saint-Sénoch, XVIIe, jusqu’en 1914 ;
au 25, rue de Villejust (devenue rue Paul-Valéry depuis 1946), XVIe, jusqu’en 1926 ; au 14, boulevard de la Reine, Versailles, puis au 73, rue de Courcelles, Paris VIIIe, jusqu’en 1932 ; au 102, rue Jean de la Fontaine, XVIe, vers 1936 et au 39, rue Singer, Paris XVIe, à la fin de sa vie.
Très actif et prolifique, Isidore Rosenstock devient rapidement réputé pour ses représentations de fleurs, des jardins de Versailles et ses sujets orientalistes. Dans l’ouvrage de Pierre Sanchez recensant les artistes et les expositions de la célèbre galerie Georges Petit, 12, rue Godot-de-Mauroy à Paris, entre 1881 et 1934, on note plus d’une vingtaine de participations de Rosenstock, soit dans le cadre d’accrochages collectifs (avec la Société Internationale des Aquarellistes, par exemple), soit lors d’expositions particulières :
du 1er au 15 février 1912 (59 numéros), du 17 au 31 janvier 1914 (80 numéros), du 17 au 28 février 1919 (76 numéros), du 1er au 15 mars 1921 (69 numéros), du 1er au 15 mars 1924 (65 numéros), du 1er au 14 février 1926 (90 numéros) et du 1er au 15 février 1934 (50 numéros).
Le guide Bénézit le résume ainsi : “Ses bouquets tracés d’une main sûre, ses représentations du parc de Versailles, ont été abondamment reproduits entre les deux guerres par le journal L’illustration. Membre de la Société des Artistes Français, dessinateur à la Manufacture de Sèvres, membre de la Société Internationale des Aquarellistes, membre du jury de la Société Nationale Horticole de France section beaux-arts. Acquisition de ses oeuvres par l’État français en 1919. Expositions à Londres, New York, Bruxelles, Liège, Munich, Tokyo, Cannes, Deauville, Berlin, Rome et Madrid.”

INSTALLATION AU LAVANDOU

Deux événements vont soudainement perturber ce parcours sans nuage : Rosenstock divorce en mars 1939 de sa première épouse, Jeanne Gayon, tandis que quelques mois plus tard la Seconde Guerre mondiale va le pousser à s’éloigner de Paris.
Dans son ouvrage sur l’écrivain et peintre de marine français Marin Marie (1901-1987), Roman Petroff raconte : “Le pauvre Isidore Rosenstock, artiste aimable, spécialisé dans les bouquets de roses aux couleurs acidulées, se cachait entre les pierres pour éviter de se retrouver dans un camp de concentration. Tous les gens du quartier Boileau, Marin en tête, le protégeaient.”
D’origine juive, il vient s’installer au Lavandou près de sa bellefille Simone et son mari Pierre Madier, gérant d’une épicerie fine rue Jean-Charles Cazin, pour y vivre plus tranquillement. De plus, il trouve là de nouveaux sujets à peindre et ne tarde pas à faire des centaines de représentations des plages, du vieux village, des pointus amourés sur le sable, du port de pêche et de ses pescadous.
“Silhouette mince, élégante, visage fin abrité d’un grand feutre gris, Rosenstock plantait son chevalet dans les ruelles, immortalisant tous les coins pleins de charme comme la ramade fleurie d’Aimé Ravello, toute proche de la maison de Baptistin Bret, le directeur de l’école communale, lui-même aquarelliste, avec qui le peintre s’était lié d’amitié. On le vit peindre aussi certaines ruelles de Bormes et le port de Saint-Tropez” racontent les anciens du village.
Rosenstock ne manque pas d’immortaliser aussi l’église Saint-Louis du Lavandou avec son clocher à deux cloches, de même que l’hôtel “Mon désir” de la famille Giacobbi, la plage de la Casette à proximité du “Château” (Villa Louise) et le chaudron où les pêcheurs mettaient leurs filets à bouillir pour les teindre avec de l’écorce de pin avant de les étendre sur le sable pour les faire sécher.
“Appelez-moi Rosen, mon petit Paul !” se souvient encore le vieux pêcheur lavandourain Paul Vieil qui, enfant, aimait à dessiner à ses côtés. Rosenstock lui trouvait même quelque talent. Le maître aimait donner des conseils et encourager ceux qui étaient tentés par la création artistique.

Lors de ses séjours réguliers au Lavandou, Rosenstock occupe différentes adresses. Il loue une chambre tantôt à l’hôtel “Mon Désir”, d’où il peint du balcon la vue sur mer, tantôt à l’hôtel Toucas, exploité rue du Port par Paul et Angèle Toucas ; hôtel qui accueillit également Maurice Utrillo dans les années 1930-1940.
Vers 1949-1950, il loge à l’Auberge de la Calanque où le propriétaire, Jean Doering, lui propose gratuitement une chambre difficile à louer (la n°11) car située sous la salle de restaurant. Rosenstock réalise alors de nombreuses aquarelles de l’établissement et de ses jardins.
À la fin de la guerre, Isidore Rosenstock peut regagner sans inquiétude la capitale libérée et reprendre contact avec les galeries. Mais l’intérêt pour son oeuvre n’est plus le même. Les temps ont changé. L’art moderne triomphe. Rosenstock revient régulièrement au Lavandou.
Une photo atteste même de sa présence au casino à la table de l’humoriste Champi en 1949.
Il officialise son union en se mariant à Saint-Mandé le 28 juin 1955 avec Rose Rouit (née à Marseille en 1886), veuve de Léon René Poirot de Valcourt et mère de Simone Madier.
Rosenstock décède chez lui le 23 novembre 1956 à Paris XVIe, 39, rue Singer, en début d’après-midi.
Pour les Lavandourains, Rosenstock reste avant tout l’auteur d’une série d’aquarelles pleines de charme, lumineuses et colorées, témoins fidèles de leur beau village, petit port de pêche des années 1940 ; un artiste reconnu de ses pairs et des amateurs d’art, en France et à l’étranger où il avait exposé et obtenu de nombreux prix. Le musée d’Orsay à Paris ainsi que la musée de Saint-Etienne (achat en 1912 – n°inv. 43.3.347) possèdent des oeuvres de lui qui sommeillent dans le silence des réserves.

 

En mars 1963, à l’occasion d’une exposition à la galerie Cambacérès, rue de la Boétie à Paris, Renée Carvalho évoquait le peintre avec sensibilité : “Sans doute est-ce le talent avec lequel Rosenstock peignait les fleurs qui lui valut de devenir Vice-Président du Salon de l’Horticulture. Dans des toiles brossées avec une certaine hardiesse ou dans des aquarelles plus traditionnelles, il fait éclore de magnifiques bouquets ou suggère les délicates corolles. Gerbe de lilas, de giroflées et d’anémones, touffes de roses de diverses teintes, resplendissent tandis que dans des oeuvres de plus petit format quelques fleurs comme ces roses jaunes, se détachant d’une grisaille raffinée, suffisent à créer une ambiance distinguée. Et ce sont combien d’autres roses, de dahlias, d’oeillets, de pâquerettes pour ne citer que quelques-unes d’entre-elles parmi ces innombrables fleurs qui égayent la galerie par ces jours d’hiver. Cependant le plaisir qu’il ressentait à les peindre d’ailleurs avec une étonnante maîtrise n’empêchait pas Rosenstock d’éprouver le désir
de dégager la beauté d’un paysage.
L’Île-de-France, la Bretagne, la Provence, la Savoie ou la Suisse sont évoquées ici tantôt dans des aquarelles traitées en force et qui, malgré leur densité, sont sans lourdeur, et parmi lesquelles nous rappellerons un coin de jardin paradisiaque et baigné d’air pur, tantôt dans des huiles enlevées d’une touche assurée tel ce petit paysage dont le ciel d’orage tranche avec les parterres fleuris.
Ancien élève de l’école Bernard Palissy, de celle des Beaux-Arts, Rosenstock se manifestait aussi au Salon des Artistes Français dont il était sociétaire et à celui des Indépendants. Il a également participé à diverses Expositions Universelles et compte des oeuvres dans des Musées d’État.”

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